Le manuel du Bipolaire

Post-face du Pr Gilles Bertschy

Encore un ouvrage sur les troubles bipolaires !
S’il y en a eu beaucoup en langue anglaise et moins en langue française, comme le soulignent les auteurs dans leurs avant-propos, il ne sera pas le premier. Mais dans ce domaine, la diversité et la complémentarité sont importantes et cet ouvrage y contribuera. Il est riche, dense, généreux, parfois un peu ébouriffant, toutes des qualités que je connais bien à ses auteurs dont deux que j’ai fréquentés de près avec plaisir dans leurs jeunes années de carrière.

Au jeu du « supprimons les mots inutiles » qui a guidé le choix du titre, ce manuel est devenu avec une évidente efficacité un Manuel du bipolaire. Il aurait presque pu devenir un manuel bipolaire ! Ce titre a l’avantage de dire les choses simplement. Les auteurs ne s’en privent pas. Il fallait de l’audace et une forte conviction pour parler des choses difficiles et ne pas les cacher. Je pense nottament au chapitre intitulé : « Le bipolaire et la mort. »

Pour autant, ce manuel n’est pas une formule condensée. Beaucoup de thèmes font l’objet d’un véritable approfondissement. Pour autant, les chapitres sont vivants, illustrés par de nombreuses vignettes accrocheuses qui ouvrent une fenêtre sur un monde clinique plein de diversités et de nuances. L’introduction historique constitue une riche somme de connaissances au diapason du livre. L’expérience de Martin Desseilles, Nader Perroud et Bernadette Grosjean dans le domaine voisin des troubles borderlines nourrit utilement certains éclairages sur la régulation des émotions.

Le lecteur pourra choisir son parcours et renoncer à une lecture linéaire pour circuler d’un chapitre à l’autre, plonger dans certains sujets et s’intéresser plus spécifiquement à des applications pratiques. Celles-ci proposent au patient toutes sortes d’outils qui soulignent le titre de l’ouvrage et sa vocation pratique que n’aurait pas renié un célèbre fabricant de meubles suédois !

Ce manuel caractérisé par la diversité des approches rend compte de toutes les facettes de ses trois auteurs, cliniciens, chercheurs, enseignants et communicants ! Ces derniers ont déjà montré leur goût non seulement de la science clinique psychiatrique mais aussi de sa transmission vers différents publics. Leurs ouvrages témoignent d’une vision de la psychiatrie désireuse d’articuler le biologique au psychologique et de refuser toute forme de simplification.

Avoir écrit ce livre, c’est participer à un mouvement plus large, qui vise à faire des patients concernés par les troubles bipolaires des acteurs de leur vie, en capacité d’agir et de l’orienter (je pense notamment au concept anglo-saxon d’« empowerment »).

Cette approche m’importe. Je n’y suis pas intéressé seulement au travers de ma pratique clinique et thérapeutique en milieu hospitalo-universitaire, des années vouées à animer des groupes d’échanges pour patients bipolaires et leur entourage m’y ont sensibilisé. Ce qui se produit dans le domaine du trouble bipolaire est emblématique d’une évolution amorcée au fil des décennies et nettement visible ces dernières années. Cette évolution conduit à redistribuer les cartes dans la relation du psychiatre ou du soignant avec les patients et leur entourage, en réinterrogeant la question du savoir et de l’expertise, partant la qualité du dialogue entre les uns et les autres.

Cette évolution sociétale est aussi redevable aux mutations technologiques et à l’expansion des technologies de l’information et de la communication. Associer ce manuel à un site internet à disposition des patients s’inscrit avec beaucoup d’à-propos dans cette évolution.

Avancer sur ce chemin n’est pas toujours simple et parfois on pourrait misérablement ou égoïstement regretter la psychiatrie de grand-papa, une époque où les choses semblaient mieux définies et verticales, qu’il s’agisse de la verticalité des murs de l’hôpital ou des relations médecins-patients. Mais c’est un chemin qui nous fait tous grandir en tant qu’humains. Ce chemin n’est pas fini (rappelez-vous la parole du sage : le bonheur n’est pas au bout du chemin, il est le chemin) et cet ouvrage est un joli caillou sur ce sentier. N’hésitez pas à le ramasser et le montrer.

Strasbourg le 30 septembre 2016

Pr Gilles Bertschy

Gilles Bertschy est chef du Pôle de Psychiatrie, Santé Mentale et Addictologie, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. Il est Professeur de psychiatrie à l’Université de Strasbourg